VINGT

IL FALLUT PLUSIEURS MINUTES AVANT QU’ILS NE SOIENT CAPABLES DE BOUGER. Tout le corps de David tremblait de froid pendant qu’il déprenait ses bras d’autour de Laurel.

— J’ai pensé ne jamais te revoir, dit-il. Tu es restée sous l’eau pendant presque quinze minutes après que j’aie réussi à ramener mes bras en avant afin de regarder ma montre.

Quinze minutes ! Laurel éprouva une reconnaissance immédiate pour avoir libéré David en premier. Il aurait été on ne peut plus mort après seulement cinq minutes.

— Comment as-tu atteint le rivage ?

David sourit faiblement.

— En étant très, très têtu. Je n’étais pas du tout convaincu d’y arriver. Mais je continuais à donner des coups de pieds et à prendre une respiration lorsque je le pouvais, et je me suis finalement retrouvé en eau peu profonde.

Il se pencha plus près jusqu’à ce que leurs épaules se touchent.

— J’ignorais totalement où tu te trouvais. Je ne pouvais même pas découvrir où tu avais été attachée, car la rivière était trop sombre. Je n’ai pas arrêté de longer la rive en cherchant une trace de toi.

— Et si les deux affreux avaient été là à attendre ? le réprimanda-t-elle.

— Il s’agissait d’un risque que j’étais prêt à courir, dit doucement David.

Un violent frisson agita tout le corps de son ami, et Laurel se balança délicatement pour se remettre debout.

— Nous devons te réchauffer, déclara-t-elle. Tu pourrais souffrir d’hypothermie après être resté dans cette eau.

— Et toi ? Tu y as passé beaucoup plus de temps.

Laurel secoua la tête.

— Je n’ai pas le sang chaud, tu te rappelles ? Allons, cherchons quelque chose de tranchant pour couper cette corde.

Elle se pencha et commença à tâtonner autour d’elle sur le sol.

— Non, dit David. Retournons simplement à la voiture. Je garde un couteau à l’intérieur. Cela nous prendra beaucoup moins de temps en fin de compte.

— Crois-tu pouvoir la trouver ?

— Je ferais mieux, sinon ça n’aura plus d’importance que nous ayons survécu à la rivière.

Ils rampèrent avec lassitude en amont pendant plusieurs minutes avant que quelque chose leur parût familier.

— Là, dit Laurel en pointant le sol.

Elle voyait sa tong blanche sereinement posée sur le rivage, son orteil léché par le courant.

— J’ai dû la perdre quand Balafré m’a soulevée.

David marqua une pause en fixant la sandale.

— Comment ont-ils réussi cela, Laurel ? Il m’a levé d’une seule main !

Laurel hocha la tête.

— Moi aussi.

Et elle ne voulait pas lui dire à quel point les pierres étaient lourdes.

— La voiture devrait être par-là, déclara-t-elle avec un signe de tête.

Elle désirait laisser la rivière derrière elle et ne jamais revenir.

— Veux-tu cela ? lui demanda David en se penchant pour récupérer sa chaussure.

L’estomac de Laurel se serra quand elle regarda la sandale blanche éraflée. Ses pieds élançaient, mais elle ne supportait pas l’idée de la porter de nouveau.

— Non, dit-elle fermement. Lance-la dans l’eau.

Sans lune pour les guider, ils avancèrent avec précaution et très lentement le long du sentier. Deux fois, ils durent rebrousser chemin, mais en moins d’une demi-heure, David s’agenouilla près de sa voiture pour chercher la clé de réserve dans la roue de secours.

— J’ai dit à ma mère qu’il s’agissait d’une idée stupide, l’informa David en claquant de nouveau des dents. Mais elle m’a assuré qu’un jour je serais heureux qu’elle l’ait placé là.

Il récupéra la clé argentée et la tint dans ses mains tremblantes.

— Je ne pense pas que c’est exactement ce qu’elle avait en tête.

Il glissa la clé dans la serrure du coffre, et ils soupirèrent tous les deux quand ils entendirent un déclic et que la portière du coffre s’ouvrit.

— Je lui achète des fleurs à mon retour à la maison, promit-il. Des chocolats aussi.

David fouilla maladroitement dans la trousse de survie pour la voiture et il en tira un petit couteau de poche.

Plusieurs minutes furent nécessaires pour trancher les cordes épaisses, mais c’était un million de fois mieux que d’essayer d’y arriver avec une roche. Il démarra l’auto et alluma le chauffage à plein régime quand ils se glissèrent sur les sièges avant ; ils placèrent leurs mains près des bouches d’air et tentèrent de sécher leurs vêtements encore humides.

— Tu devrais retirer ta chemise et mettre mon manteau, proposa Laurel. C’est peu, mais au moins il est sec.

David secoua la tête.

— Je ne peux pas ; tu en as besoin.

— Mon corps s’ajuste à la température : ç’a toujours été le cas. C’est toi qui dois rester au chaud.

Elle observa le visage de David changer pendant son combat entre ses idéaux chevaleresques et la nécessité de se réchauffer.

Laurel leva les yeux au ciel et attrapa le vêtement sur le siège arrière.

— Mets-le, ordonna-t-elle.

Il hésita, mais après quelques secondes, il retira son chandail trempé et le remplaça par le manteau de son amie.

— Penses-tu pouvoir conduire ?

David renifla.

— Je peux y arriver assez longtemps pour nous amener à un poste de police. Ça conviendra ?

Laurel arrêta la main de David sur le levier de vitesse.

— Nous ne pouvons pas aller à la police.

— Pourquoi pas ? Deux hommes viennent juste d’essayer de nous tuer ! Fais-moi confiance, c’est le travail des policiers.

— Tout ceci dépasse les policiers, David. As-tu oublié que les deux types nous ont lancés dans la rivière comme si nous ne pesions rien ? Que penses-tu qu’ils feraient à deux policiers ?

David fixa l’odomètre, mais il ne dit rien.

— Ils ne sont pas humains, David. Et n’importe quel humain sera blessé s’il tente de les arrêter.

— Alors, que faisons-nous ? demanda David d’une voix sèche. On les ignore ? On s’en va en douce et on rentre à la maison la queue entre les jambes ?

— Non, répondit Laurel presque dans un murmure. Nous allons voir Tamani.

 

*

* *

 

Des larmes de soulagement lui picotèrent les yeux quand elle dépassa l’orée du bois et qu’elle sentit le réconfort familier de la forêt l’envelopper. Laurel repoussa ses cheveux emmêlés de son visage et tenta en vain de passer ses doigts à travers pendant qu’elle boitait le long du sentier faiblement éclairé en direction du ruisseau. Elle était tellement épuisée, elle pouvait à peine placer un pied contusionné devant l’autre.

— Tamani ? appela-t-elle doucement.

Sa voix paraissait anormalement forte dans la nuit sombre et immobile.

— Tamani ? J’ai besoin d’aide.

Tamani se mit au pas avec elle si silencieusement qu’elle ne le remarqua pas avant qu’il ne parle.

— Puis-je supposer que le garçon dans le véhicule est David ?

Elle cessa d’avancer et le dévora des yeux. Il ne portait pas son armure ce soir, mais une chemise noire à manches longues et un pantalon ajusté qui se fondaient presque complètement dans les ombres. La nuit était si sombre, elle ne voyait que les contours de son visage, chaque angle doux et d’une beauté exquise. Elle voulait se jeter dans ses bras, mais elle se retint.

— Oui, c’est David.

Ses yeux étaient doux, mais inquisiteurs.

— Pourquoi l’as-tu amené ?

— Je n’avais pas le choix.

Tamani leva un sourcil.

— Au moins, tu lui as dit de rester dans la voiture.

— J’essaie, Tamani. Mais c’était ma seule façon de venir ce soir.

Tamani soupira et regarda en arrière vers le sentier où Laurel avait laissé David dans la voiture.

— Je dois admettre… Je suis surtout content que tu sois là. Sauf que la forêt est pleine de fées ce soir : ce n’est pas un bon moment.

— Pourquoi sont-elles ici ?

— Il y a eu beaucoup de… d’activités ennemies dans le coin récemment. Nous ne savons pas exactement pourquoi. C’est tout ce que je peux dire.

Il jeta un rapide coup d’œil sur le sentier derrière lui.

— Enfonçons-nous davantage.

Il lui prit la main et poursuivit sa route sur le sentier.

Le premier pas engendra un éclair de douleur dans sa jambe quand une brindille s’enfonça dans son pied égratigné.

— Arrête, s’il te plaît.

Le ton de sa voix était comme une supplique étranglée, mais elle était au-delà de la gêne ce soir. Des larmes glissaient sur son visage lorsque Tamani s’arrêta et pivota.

— Qu’est-ce qui ne va pas ?

À présent que les larmes étaient déclenchées, Laurel n’arrivait plus à les stopper. La panique et la peur de la soirée la submergèrent aussi concrètement que le courant de la Chetco et elle haleta.

Puis, elle fut entourée par les bras de Tamani ; son torse était chaud malgré l’air froid. Ses mains caressèrent son dos de haut en bas jusqu’à ce qu’il touche l’entaille provoquée par la fenêtre et qu’elle ne puisse retenir un gémissement.

— Que t’est-il arrivé ? murmura-t-il dans son oreille pendant que ses mains repoussaient les cheveux de la jeune fille.

Les doigts de Laurel agrippèrent la chemise du garçon, et elle tenta de garder son équilibre. Tamani se pencha, passa rapidement ses bras sous elle et la souleva pour la tenir en boule contre lui, soulageant ainsi ses pieds douloureux de son poids. Elle ferma les yeux, hypnotisée par le rythme gracieux de ses pieds qui ne semblaient jamais produire de sons. Il marcha quelques minutes le long du sentier, puis l’installa dans un coin mœlleux sur le sol.

Une étincelle jaillit et Tamani alluma ce qui ressemblait à un orbe de cuivre de la grosseur d’une balle de softball. Une lumière scintillante brilla à travers des centaines de trous minuscules, emplissant la petite clairière d’une douce lueur. Tamani fit glisser son sac de ses épaules et s’agenouilla à côté d’elle. Sans dire un mot, il posa un doigt sous le menton de Laurel et tourna son visage d’un côté, puis de l’autre. Il passa ensuite à ses bras et à ses jambes, murmurant devant les égratignures et les écorchures qu’il découvrait. Délicatement, il souleva les pieds de la jeune fille et les déposa sur ses genoux, et Laurel sentit les arômes familiers de la lavande et de l’ylang-ylang pendant qu’il frottait quelque chose de chaud sur ses plantes de pied meurtries. Elle ressentit un picotement et presque une brûlure pendant une minute avant que le tout se refroidisse et soulage la douleur lancinante.

— Es-tu blessée autre part ? demanda Tamani après avoir soigné toutes les blessures qu’il avait vues.

— Mon dos, répondit Laurel, se tournant sur le côté et soulevant son chandail.

Tamani expira en sifflant tout bas.

— Celle-là est plutôt grave. Je vais devoir la bander.

— Est-ce que ce sera douloureux ? s’enquit-elle lentement, la chaleur du petit orbe paraissant s’enrouler autour de son corps.

— Non ; mais tu devras faire attention pendant quelques jours pendant que le tout se reforme.

Elle hocha la tête et posa sa joue sur son bras.

— Où t’es-tu fait cela, Laurel ? demanda-t-il alors que ses doigts délicats s’affairaient sur la profonde entaille. Les fées ne sont pas reconnues pour être maladroites.

En tentant de s’expliquer, la jeune fille avait l’impression que sa langue était épaisse et lente.

— Ils ont essayé de nous tuer. David et moi.

— Qui ?

Sa voix était douce, mais Laurel décelait l’intensité derrière ses mots.

— Je ne sais pas. Quelque chose de laid, d’inhumain. Des hommes qui ont convaincu ma mère de vendre la terre.

— Laid ?

Laurel hocha la tête. Elle ferma les yeux en lui parlant de son père et de Jeremiah Barnes, ses paroles devenant de moins en moins distinctes.

— Une toxine ? insista Tamani pendant que les paupières de Laurel s’alourdissaient et que la voix de son ami lui paraissait de plus en plus lointaine.

— Des papiers sont censés être signés demain, souffla Laurel, s’efforçant de transmettre le message le plus important alors que sa peau picotait doucement comme si elle était allongée sous les rayons du soleil du midi.

Quelques secondes plus tard, un bras se glissa autour d’elle, et Laurel s’accrocha à lui quand la joue de Tamani se posa sur ses cheveux.

— Dors, murmura-t-il. Je ne permettrai à rien d’autre de te blesser.

— D-D-David, il attend…

— Ne t’inquiète pas, l’apaisa Tamani en lui caressant le bras. Il sommeille aussi. Shar veillera à sa sécurité. Vous avez tous les deux besoin de vous reposer à présent.

Tout ce dont elle était capable, c’était d’acquiescer d’un signe de tête alors qu’elle se nichait contre le torse de Tamani et laissait son esprit se vider de tout.

 

*

* *

 

Des doigts délicats passèrent dans la chevelure de Laurel pendant qu’elle s’étirait lentement et roulait sur le dos. Elle battit des paupières pour ouvrir les yeux et rencontra le regard de Tamani.

— Bon matin, dit-il avec un doux sourire, assis à côté de la tête de la jeune fille.

Elle lui fit un grand sourire, puis ses yeux se levèrent sur un ciel rempli d’étoile et sur la petite lampe toujours suspendue à des branches au-dessus d’elle.

— Est-ce vraiment le matin ?

Tamani rit.

— Enfin, c’est très tôt le matin j’imagine, mais oui.

— As-tu dormi ?

Il secoua la tête.

— Trop de choses à faire.

— Mais…

— Ça ira. J’ai fait pire.

Son sourire tomba et sa mâchoire se contracta.

— Il est temps de partir.

— Pour aller où ? demanda-t-elle en s’assoyant.

— S’occuper des trolls avant qu’ils ne réussissent à tuer ton père.

— Des trolls ?

Elle secoua la tête. Elle avait sûrement mal entendu. Elle s’était relevée trop vite, c’est tout.

— Mon père ? Tu peux aider mon père ?

— Je l’ignore, admit Tamani. Mais ça n’aura pas d’importance à moins que nous ne réglions d’abord le compte des trolls.

Tamani pencha très légèrement la tête de côté.

— Montre-toi, Shar. Je sais que tu écoutes.

Un autre homme sortit en silence de derrière un arbre que Laurel aurait pu jurer être trop petit pour le dissimuler. Il affichait la même attitude confiante que Tamani et les mêmes yeux verts. La racine de ses cheveux était verte également, mais le reste de sa chevelure était blond clair et longue – retenue loin de son visage. Shar arborait la même perfection qu’elle n’était toujours pas habituée à voir en Tamani ; par contre, son visage était plus rude, plein de traits acérés là où ceux de Tamani étaient doux. Il était plus grand – presque autant que David – avec des membres longs, maigres et nerveux, et des bras et un torse solides.

— Laurel, Shar, Shar, Laurel, dit Tamani sans regarder l’autre fée.

Laurel le fixa, les yeux ronds, mais Shar se contenta de hocher la tête et de croiser les bras sur sa poitrine, écoutant en s’appuyant sur l’arbre de l’arrière duquel il venait tout juste de sortir.

— J’aurais dû comprendre que c’étaient les trolls qui essayaient d’acheter cette terre. Ces créatures que tu as décrites ne peuvent pas être autre chose. Nous devons nous occuper d’eux avant que les papiers ne soient signés.

— Des trolls ? Comme de vrais trolls ? Tu es sérieux ? Pourquoi des… trolls… s’intéresseraient-ils à cette terre ? Simplement parce que vous autres vivez ici ?

Tamani jeta un coup d’œil à Shar par-dessus son épaule avant de se tourner de nouveau vers Laurel.

— Non. C’est parce que le portail est ici.

— Le portail ?

— Tamani, tu vas trop loin, gronda Shar.

Tamani pivota son corps du côté de son camarade.

— Pourquoi ? Ne crois-tu pas que, de toutes les fées, elle a le droit de savoir ?

— Ce n’est pas à toi d’en décider. Cela devient trop personnel pour toi.

— C’est personnel, répliqua Tamani, la voix lourde d’amertume. Ça l’a toujours été.

— Nous respectons le plan, insista Shar.

— Je respecte le plan depuis douze ans, Shar. Toutefois, des trolls sont sur le point d’obtenir d’ici quelques heures le titre de propriété de cette terre et défaisant tout ce pour quoi nous avons travaillé ne font pas non plus partie du plan.

Il marqua une pause en regardant son compagnon avec colère.

— Les choses ont changé, et elle doit savoir ce qui est en jeu.

— La reine ne sera pas contente.

— La reine a passé la majorité de son règne à me rendre malheureux. Peut-être vaut-il mieux que le courant change pour une fois.

— Je te fais confiance, Tamani, mais tu sais que je ne peux pas cacher cela.

Un long moment s’écoula, au cours duquel les deux hommes s’observèrent mutuellement.

— Ainsi soit-il, dit Tamani, et il se tourna vers Laurel. Je t’ai dit une fois que je protège quelque chose de très spécial. Il ne s’agit pas d’une chose que je peux prendre et déplacer : c’est pourquoi cette terre est si importante. C’est un portail vers le royaume. La seule barrière gardant la porte vers Avalon.

— Avalon ? souffla Laurel.

Tamani hocha la tête.

— Dans le monde entier, il y a quatre portes qui y mènent. Il y a des centaines d’années, les portails étaient ouverts. Ils étaient encore secrets et protégés par ceux qui en connaissaient l’existence, mais en fait, trop de gens savaient. Depuis le début des temps, les trolls tentent de prendre la maîtrise d’Avalon. Il s’agit d’un morceau de terre si parfait que la nature n’y est pas la seule ressource abondante. L’or et les diamants sont aussi communs que des brindilles et des pierres. Ils ne signifient rien pour nous, sauf comme ornements.

Tamani sourit largement.

— Nous adorons les choses qui brillent, tu sais.

Laurel rit à la pensée des prismes de verre qu’elle avait suspendus à la fenêtre de sa chambre des années plus tôt.

— Je pensais que c’était seulement un goût personnel.

— Je n’ai jamais rencontré une fée qui n’aimait pas cela, dit Tamani en souriant. Cependant, les trolls ont toujours essayé d’acheter leur entrée dans le monde des humains en utilisant leur argent. Certains trolls consacrent leur vie entière à chasser des trésors, et Avalon en est un trop gros pour le laisser passer. Pendant des siècles, il a été un endroit de mort et de destruction alors que les trolls tentaient de nous envahir et de nous détruire et que nous, les fées, avons désespérément cherché à protéger nos foyers. Mais pendant le règne du roi Arthur, tout a changé.

— Le roi Arthur ? Le roi Arthur ? Tu te moques de moi !

— Pas du tout, quoique comme pour tout le reste, les récits ne racontent pas tout à fait la vérité. Je te le dis, si tu veux garder un secret, transforme-le en histoire humaine. Ils la gâcheront à un point tel que dans cent ans, personne ne sera en mesure de séparer le mythe de la réalité.

— Je m’offusquerais de cela, sauf que j’ai découvert que c’est entièrement vrai.

Tamani haussa les épaules.

— Qu’a fait le roi Arthur ?

— Surtout, il s’agit de ce qu’a fait son magicien Merlin. Arthur, Merlin et Oberon…

— Oberon ? L’Oberon de Shakespeare ?

— Shakespeare était loin d’être le premier à l’immortaliser, mais oui, ce roi Oberon. Avec Arthur et Merlin, Oberon a fabriqué une épée qui contenait tellement de magie que quiconque la maniait dans une bataille était assuré de la victoire.

— Excalibur, dit Laurel en haletant.

— Exactement. Oberon, Arthur et Merlin ont dirigé la plus grande armée jamais connue par Avalon dans un combat contre les trolls pour les bannir à jamais. Les fées, Arthur et ses chevaliers, Merlin et ses trois maîtresses, et Oberon lui-même. Les trolls n’ont eu aucune chance. Les fées ont purgé Avalon des trolls, et Oberon a créé les portails pour nous garder de leur retour. Mais même pour une fée d’hiver, c’était plus de magie que toute plante vivante pouvait supporter. Le plus grand roi fée de l’histoire a donné sa vie pour le portail que je protège.

— Tout est si incroyable, dit Laurel.

— C’est ton histoire, déclara Tamani. Ton héritage.

Shar grogna derrière lui, mais Tamani l’ignora.

— C’est pourquoi il est si important que cette terre ne tombe pas entre les mains des trolls. Les portails ne peuvent pas être détruits, mais les grilles qui les gardent oui. Et si les grilles sont détruites, Avalon sera ouvert à n’importe qui. Notre foyer deviendra un endroit de guerre et de destruction encore une fois. Nous conservons des comptes-rendus de la terrible vengeance que les trolls ont pris sur Camelot et nous ne pouvons qu’imaginer le sort qui attend Avalon s’ils réussissent à y pénétrer.

— Pourquoi maintenant ? Ma mère essaie de vendre cette terre depuis des lustres. Ils auraient pu l’acheter il y a des années.

Tamani secoua la tête.

— Nous l’ignorons. Franchement, j’ai presque peur de le découvrir. Les trolls détestent perdre. Ils n’entreprennent jamais rien à moins d’être certains de gagner. Peut-être ont-ils formé un très grand groupe. Peut-être… peut-être…

Il soupira.

— Je ne sais même pas. Cependant, ils détiennent un secret quelconque qui leur fait croire qu’ils ont un avantage. Et à moins que nous ne le découvrions, nous n’avons aucune chance.

Tamani marqua une pause.

— Nous pensions qu’ils ignoraient où était ce portail.

— Pourquoi ? N’ont-ils pas tenté d’entrer depuis que les portails ont été créés ?

— Disons simplement que très peu de trolls ont réussi à quitter Avalon vivants. Nous avons soupçonné pendant de très nombreuses années que les survivants connaissaient à peu près où il se situait – et qu’ils pouvaient avoir transmis cette information –, mais jusqu’à maintenant, ils avaient été incapables de localiser avec précision son emplacement.

— Qu’arrive-t-il s’ils le trouvent ?

— S’ils le trouvent, nous les tuons. C’est la raison de notre présence. Toutefois, ce n’est pas le pire qui peut se produire. S’ils parviennent à acheter la terre, ils peuvent envoyer une armée d’humains s’activer à un imaginaire projet de construction et démolir tout plus vite que nous ne puissions les tuer sans attirer l’attention d’autres humains. Les grilles sont très solides, mais elles ne sont pas invincibles. Quelques bulldozers et des explosifs pourraient réussir à les faire tomber. Mais à tout le moins, cela exposerait le portail à la vue de qui pourrait souhaiter le découvrir.

— Tu as dit qu’ils avaient rendu mon père malade ? murmura-t-elle.

Tamani la regarda pendant un long moment, ses yeux brillants de colère.

— Je crois que si. Je crois aussi qu’à cause de cette toxine…

Shar s’éclaircit la gorge et s’adressa à Laurel.

— Tamani adore parler, mais je suis certain que tu serais d’accord pour dire que le temps presse.

Tamani pinça les lèvres et leva les yeux vers le ciel.

— J’ai effectivement pris trop de temps, dit-il. Nous devons partir. Nous voulons les attraper quand le ciel devient rose.

— Pourquoi ?

— Les trolls sont des créatures de nuit ; ils préfèrent dormir lorsque le soleil est levé. Ils seront fatigués et faibles si nous les coinçons à la fin de leur journée.

Laurel hocha la tête. Elle s’étira une autre fois et se mit debout avec hésitation, testant son poids avec précaution. À son étonnement, tout son corps semblait revitalisé.

— Comment as-tu fait cela ? demanda Laurel.

Tamani sourit et pointa la lampe.

— Tu as déjà dit que tu voulais voir de la magie.

Laurel fixa le petit orbe de cuivre.

— Qu’a-t-il fait ?

— Il agit comme une lumière artificielle. Il permet à ton corps de se régénérer comme si tu étais exposée en plein soleil. On ne peut pas l’utiliser trop souvent, sinon les cellules captent la différence, mais c’est pratique en cas d’urgence, répondit-il en fouillant une nouvelle fois dans son sac. Tu voudras certainement ceci.

Il lui tendit une paire de mocassins mœlleux pareils à ceux qu’il portait.

Pendant que Laurel attachait les lacets, Shar s’avança et posa une main sur l’épaule de Tamani.

— Bonne chance à toi. J’ai déjà demandé des renforts ; ils devraient être ici dans l’heure.

— Avec un peu de chance, tu n’en auras pas besoin, répliqua Tamani.

— S’il s’agit réellement de trolls et qu’ils en savent autant que tu le soupçonnes, j’imagine que cette clairière est sur le point de devenir le foyer de beaucoup, beaucoup d’autres sentinelles.

— Et c’est peu dire lorsqu’on songe aux dernières semaines, dit Tamani d’un ton sarcastique.

— Es-tu sûr de n’avoir besoin de personne avec toi ?

— Il vaut mieux rester en petit comité, affirma Tamani avec un grand sourire. D’ailleurs, on n’en compte que quatre et l’un d’eux est un troll inférieur. Tu es juste jaloux parce que je t’empêche de venir.

— Peut-être un peu. Mais vraiment, Tam, l’un d’eux est un supérieur. Ne le sous-estime pas. Je ne veux pas devoir partir à la recherche de ta chair brisée.

— Ce ne sera pas nécessaire, je te le promets.

Shar resta silencieux un instant, puis il leva le menton et hocha la tête.

— Que l’œil d’Hécate soit avec toi !

— Et avec toi, dit doucement Tamani en se détournant.

Pendant qu’ils parcouraient rapidement le sentier en sens inverse, Laurel s’émerveilla de se sentir aussi bien. Après le combat pour libérer David et elle-même de la rivière, elle était plus fatiguée qu’elle ne l’avait jamais été de mémoire. À présent, elle se sentait carrément alerte, et la douce pression de la main de Tamani dans la sienne lui donnait envie de sautiller.

Cependant, elle jeta un coup d’œil au visage sévère de Tamani et elle décida de résister à cette impulsion particulière. En quelques minutes, ils aperçurent la voiture.

— Es-tu prêt ? demanda Laurel.

— À éliminer un tas de trolls ? Oui. À rencontrer David ? Vraiment pas.

 

Ailes
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